Voici mon CR illustré.
Je me suis servi de vos photos et des miennes. La prochaine fois, pensez à mettre à disposition des images un peu plus grandes (aym, jean, Phil...)
!
Il y a évidemment beaucoup de jpeg à télécharger, ça risque d'être un peu long, mais vous avez de la lecture pour patienter !
Vous retrouverez, afin de partager avec les non-membres du club, l'intégralité de ce compte-rendu sur le site de la Virada :
http://www.viradaclassica.org
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Une semaine, déjà... Quelle drôle de semaine... J'ai eu le plus grand mal à échapper au climax persistant de cette Virada. Aucune motivation pour autre chose que le vif souvenir, aucune concentration sinon cette forme de léthargie devant le carrousel rémanent des images d'autos qui virevoltent. Impossible de me mettre au travail, impossible de m'en remettre, j'ai dansé pendant 7 jours sur la farandole de photos que vous avez partagé. J'ai pratiqué la danse du soleil à la Bonette, chanté des textes anciens en Italie, j'ai jeûné en détaillant chaque épingle, envoûté par la fumée et les vapeurs d'essence, seul dans ma hutte rituelle, je suis tombé en transe et j'ai vu la lumière !
Il pleut aujourd'hui sur la Côte d'Azur. Vaillante dort au sec, fraîchement débarrassée des couches de bouses de vache accumulées dans les ailes, dans les pare-chocs et autours des supports de cric. Il y a une semaine, elle partait tout aussi belle en direction de Barcelonnette et en compagnie des 2.4E Gemini de Phil et Gris Slate de Juan. La carte météo du week-end ne souffrait d'aucun nuage sur la France entière, le parcours prévu promettait une orgie de coups de volants et 30 Porsche anciennes nous attendait pour l'apéro...
La Liaison entre Mougins et notre point de rendez-vous s'effectua comme une bande-annonce de la Virada. Tout y était : les copains, le soleil et la route. Pratiquement personne dans la circulation, mes camarades ont réussi à m'imposer un rythme tranquille en me forçant à les attendre aux carrefours stratégiques. Faut dire que Juan navigue à l'ancienne. Pas de GPS ni de téléphone, pas de carte non plus, juste sa boussole et son couteau de Rahan première main, livré avec Pif Gadget n°1045. Nous avons fait halte à la Bollinette, sur le chemin des stations habituellement emprunté par les vacanciers. Celui qui n'est jamais allé à la boulangerie de la Bollinette n'a rien fait de sa vie. Les meilleures pissaladières, pizzas et brioches tressées de toutes les Alpes Maritimes ! Dommage, pour l'heure, les lieux étaient fermés jusqu'en novembre...
Le dernier tiers de notre "parcours de concentration" nous à ensuite conduit pour la première fois du week-end sur les pentes de la Bonette, fameuse "plus haute route d'europe". On a enroulé sans exagération avec le bleu d'azur parfait comme horizon et la douceur d'un relief sans végétation comme à-côtés, puis on a rejoint le parking privatisé par la municipalité de Barcelonnette afin de nous recevoir. Il faut insister sur la disponibilité des employés de mairie qui facilitent la plupart du temps, grandement, notre déploiement dans leur région.
De nombreux Viradistes étaient déjà présents. Les voitures rutilantes étaient alignées comme à la parade et tout le monde avait revêtu son costume de circonstance. Style Touring pour tous (sauf Nina, la touche féminine de cette édition, en jupe et talons), style commémoratif de la marque pour beaucoup, style référence à l'histoire mexicaine de Barcelonnette pour Bambi et Tipo qui arboraient ponchos et sombreros, ou style militant politique de la cause indienne avec ma veste à franges et le trophée de guerre idoine, un chapeau du 7ème de cavalerie, acquis de haute lutte à Little Big Horn !
Quel bonheur de se retrouver et de rencontrer les nouveaux qui m'on fait confiance en se lançant sans repère dans cette aventure ! J'ai embrassé tout le monde, c'est la règle entre gens du sud. En débriefing cette semaine, un ancien me disait qu'au delà des Porsche c'était surtout les rapports humains qui justifiait son engagement au club et aux sorties. Combien il a raison ! Je l'ai dit ailleurs : Des Ardennes à la Lozère en passant par la Virada, il y a une bonne bande de classimous au club. Le groupe est homogène, avec de nombreuses amitiés vécues au travers et en dehors de nos sorties. Les personnalités sont singulières, décalées pour beaucoup, remarquables pour tous. Il y a de la pondération et de la prodigalité, de la solidarité et du défi, il n'y a que des gens bien. Les autres, les pas bien, ont les connaît pas. C'est un des rares cas dans la vie où l'esprit individuel se rend compatible avec l'esprit commun, sans effort et avec un plaisir naturel du partage...
Nous avons déjeuné au Bocaccino, clin d'oeil à notre périple italien du lendemain. À 20m du parking, ce restaurant était l'un des seuls à pouvoir recevoir 54 couverts à midi. Ce fut le seul endroit où les apéros étaient limités. Tourtes aux herbes, charcuterie de pays, bœuf aux cèpes, tartes aux myrtille, vins rouge et rosé, café, le service fut rondement mené, les plats étaient plutôt bien préparés. Nous aurons l'occasion de comparer avec le repas du samedi midi en Italie ce dont il est possible de bénéficier pour le même tarif...
Les premiers départs ont eu lieu dés 14:30. J'adore ce moment. Les retrouvailles sont déjà derrière nous, tout le monde est repu, on a pas trop bu, et chacun regagne sa voiture avec impatience. On fait chauffer son moteur, on retire le toit Targa, on positionne ses aides à la navigation, les clopes et le briquet à gauche, le RB à droite, une petite bouteille d'eau, on enfile les gants de conduite (les miens sont des vintages en cuir souple couleur kaki), on s'installe au volant et nos chevaux enfin libérés s'arrachent du parking en déchirant l'air de leur hennissements métalliques.
Cette année, je me suis déplacé deux cervicales quelques jours avant la Virada. J'ai tenté de mettre toutes les chances de mon côté pour assumer malgré tout cette sortie en allant me faire manipuler par une ostéopathe puis en passant par la case médecin de famille pour me faire prescrire des antalgique, opium s'il vous plait, décontractant, cortisone et anti-inflammatoire. Avec une minerve à porter impérativement pendant la conduite. Et mon propre sac-médecine que tout bon indien "vivant" porte sur lui en permanence... C'est donc bien équipé et insouciant à la douleur que je me suis élancé avec les Viradistes.
Nos premières ascensions nous ont mené rapidement dans les épingles de la montée du col d'Allos. Nous avons croisé le célèbre refuge sans nous y arrêter, trop heureux d'allonger les kilomètres, et nous avons poursuivi jusqu'au col des Champs. Comme pour celui de Sampeyre en Italie, j'ai une tendresse particulière pour ces deux cols. Le paysage est doux, la route grimpe lentement, les alentours sont herbeux et râpés, rien ne fait obstacle au regard, tout se fait sans effort, on a l'impression de faire du ski nautique sur une mer d'huile au petit matin... Nous avons ensuite croisé au large de Colmars puis nous avons attaqué la remontée vers le Col de la Cayolle.
Les Viradistes qui étaient passés aux environs lors de leur parcours de liaison m'avait indiqué avant le déjeuner avoir aperçu des panneaux qui avertissait de la fermeture du col pour travaux. J'ai donc remué ciel et terre, refuge, mairie et conseil général, afin de vérifier l'information et connaître les possibles horaires de passages. Encore une fois, il faut rendre aux fonctionnaires ce qui appartient aux peuples : contrairement à mes craintes, les services sont restés disponibles toute l'AM du vendredi et leurs éclaircissements ont été déterminants. Le barrage était situé de l'autre côté du col, dans les gorges du Bachelard, et notre heure de passage correspondait à la vacance du site par les équipes de la voirie. Nous avons donc gravi les pentes vers les Alpes de Haute-Provence en toute sérénité.
Trop de sérénité peut-être, Gil356 et sa 911 Targa ont malheureusement percuté une gentille Clio qui s'était déportée sur la mauvaise file dans une épingle aveugle. La Renault était complètement immobilisé et le Targa avait bien mauvaise figure avec la déformation de son aile avant gauche qui bloquait la roue. Tous les équipages se sont arrêtés. Triangle de rigueur et première intervention décisive de Pitou qui, aprés quelques essais infructueux de redressement du pare-choc avec une sangle, a finalement réussi à dégager l'espace nécessaire à la roue pour qu'elle pivote et tourne librement. Le puissant col de la Cayolle, à l'ombre lors de notre passage, ne nous a pas retenu longtemps. Chacun s'est rapidement laissé glisser dans les gorges du Bachelard avant de traverser Barcelonnette à nouveau et de rejoindre notre hôtel à Jausiers.
Le choix du Château des Magnans ne fut pas naturel. Le Marmotel qui nous avait reçu l'année dernière était fermé aux dates de notre venue, et un seul autre établissement, trop décentré par rapport au RB, pouvait accueillir autant de participants. Le choix fut donc contraint et j'avoue avoir été circonspect sur la qualité générale de l'accueil comparée à celle du Marmotel.
L'ensemble est constitué de plusieurs bâtiments résidentiels, d'une structure d'accueil avec lobby, salle de petit déjeuner et espaces aquatiques, ainsi que du château historique, dans lequel nous n'étions pas sensé dormir, qui réserve son rez-de-chaussée à la salle de restaurant avec bar central, et sa terrasse pré-éminente avec vue sur la vallée pour les apéros. Ceux-ci étaient organisé en open-bar avec service. Soupe de champagne, bières à la pression et tous alcools à volonté, grignotage, le buffet des apéritifs était monté chaque soir en extérieur. Ce fut de bons moments de détente et de discussions tous azimut...
À la nuit, nous sommes rentrés dans le château pour rejoindre le restaurant en empruntant un large escalier recouvert d'un tapis rouge. La salle était quelconque et la disposition du bar, quoique intéressante puisque centrale, coupait l'espace en séparant les viradistes en deux groupes. Pour ce premier soir, j'avais retenu la formule plat unique et typique - la tartiflette "de l'Ubaye" - et le buffet de desserts à discrétion avec vins, eau et café.
Au Château des Magnans, la partie hôtellerie est différente de la restauration. Les résidences sont gérées par une centrale de réservation qui appartient à un fond d'investissement tandis que les repas (hors déjeuner, donc) sont assumés par la Villa Morelia, hôtel-restaurant gastronomique à Jausiers. Nous ne garderons pas un très bon souvenirs de cette tartiflette. Patates trop fermes... Quand je pense à celle de ma squaw ! Elle y met des poireaux en plus, essayez, ça réconcilie avec la tartiflette tous ceux qui lui reprochent d'être un plat trop lourd... Le buffet des desserts fut davantage apprécié et plus encore nos pauses clopes sur le perron. Sachant notre réveil avant l'aurore, tous les viradistes sont partis se coucher de bonne heure. Tous sauf les irréductibles habituels, dont Rol84, l'indien et Fred qui nous sommes laissé tenter par un - quelques- derniers verres. Devait pas être frais au lever du lit, le Fred...
La sonnerie du téléphone m'a extirpé du sommeil à 6:00. Roland, Phil et moi avions déjà préparé de quoi faire de l'eau chaude et du café afin d'avoir quelque chose de chaud à se mettre dans le ventre au sommet de la Bonette une heure plus tard. Une pression sur le bouton de la cafetière, brossage de dents, le temps de s'habiller, le café était tiré, les thermos remplis. Pour le vrai petit déjeuner, il allait falloir attendre la redescente sur St Etienne de Tinée. Il parait que le jus obtenu par Roland était encore plus viril que s'il avait été filtré avec les chaussettes de l'archi-duc ! Fort heureusement, tout le monde ou presque avait déjà pu prendre une première collation dans le lounge de la réception...
Nous avons mis le contact à 6:30 dans la nuit totale. Les feux se sont allumés un à un, qui ses phares boules, qui les anti-brouillards, qui les latéraux... Les voitures se sont extraites du parking couvert tandis que celles qui avait couché dehors gravissaient déjà les pentes de la Bonette. J'avais fait rajouter mes longues portées il y a longtemps en prévision de cette ascension mais il faut admettre que ça n'est pas suffisant quand on ouvre dans la pénombre. Plusieurs fois, je me suis retrouvé surpris par l'apparition d'un virage en épingle que je n'avais pas vu dans mes phares. Un des prochains achats d'accessoires pour Vaillante sera indéniablement une paire de feux latéraux. Où peut-être un unique et gros phare de chasse sur le toit, comme pour celle de Herbert/Linge qui fut la première 911 à participer au Monte en 1965 !
Lorsque nous avons déboulé au col de la Bonette, seul un camping-car était présent sur les lieux. Mal lui en a pris ! Le couple qui l'occupait s'attendait sûrement à profiter du lever de soleil en robinsons des montagnes, mais l'arrivée de nos furies les a davantage incité à lever le camp et à s'installer plus loin, à l'écart de cette ambiance de paddock céleste, plein du fracas de nos machines et recouvert par une clameur montant au fur et à mesure que la lumière se décollait de l'horizon. Le ciel était immaculé, le vent absent. Les voitures étaient rangées à l'enfilade et les reflets chatoyants du jour naissant formaient sur leur carrosserie un voile lacté qui révélait leur formes arrondies.
Et puis soudain, l'astre diurne est apparu, léchant la cime des Alpes. Quel instant ! Nous avons été nombreux à célébrer à haute voix cette apparition, rendant hommage aux éléments naturels comme les animistes vouent un culte aux esprits supérieurs. Il y avait quelque chose de magique et d'exceptionnel à nous retrouver tous ensemble à cet endroit et en cette heure, privilégiés par une météo idyllique et comblés par la proximité de 30 Classics magnifiques ! Il y avait de la joie, une sorte d'euphorie tranquille, une extase olympienne...
Mais la béatitude n'est pas le lot des Classimous. Leur motivation est surtout orientée vers la recherche de satiété. L'envie de bouffer de la route, d'avaler les virages, de se gargariser de trajectoires, de se saouler de points d'inscription mais surtout de prendre un vrai petit déjeuner a vite repris le dessus. Délaissant Saint Pitou à l'oeuvre sur l'alternateur de Bambi, à 2800m d'altitude et à 7:30 du mat', je suis parti le premier afin de vérifier l'accueil avant l'arrivée de la troupe à St Etienne de Tinée. Dans le premier tiers, le soleil rasant oscillait devant le nez de Vaillante en projetant l'ombre du Targa sur les parois lorsqu'il se décalait plus fortement. Ce jeu avec l'axe lumineux, les yeux protégés par des verres polarisés et les mains rivées sur la bakélite, a cessé soudain lorsque la pente s'est glissée dans l'ombre, sous les rayons qui embrasaient les sommets du Mercantour. Je crois n'avoir croisé que 2 véhicules durant toute la descente...
Le petit déjeuner prévu à l'origine au Chamois d'Or se tenait finalement au Ben Manga, sur la grande place à l'entrée de St Etienne. J'avais effectivement été prévenu à la dernière minute que notre hôte initial ne pouvait pas assurer la prestation que nous avions pourtant négocié depuis des mois... C'est donc la veille, pendant notre parcours de liaison avec l'oreillette du téléphone, que j'avais pu organiser un nouvel accueil et nous avions fait une halte avec Phil et Juan afin de valider les détails de notre réception. Nous n'avons pas été déçus. Le jeune chef nous avait préparé un grand buffet avec une brioche tressée délicieuse, de la charcuterie et du fromage, des tartines de pain frais, du jus d'orange et des boissons chaudes comme à l'accoutumée. De plus, nous avons pu disposer d'une distribution des célèbres autocollants "La Bonnette - route la plus haute d'Europe", édités par la municipalité et offerts gracieusement à tous les courageux grimpeurs dont nous étions peut-être à cet instant les plus méritants !
Après une petite entorse au roadbook due à cette re-programmation in extremis, nous nous sommes faufilés dans la vallée de la Tinée jusqu'à Isola, où nous avons entamé la montée vers le col de la Lombarde. Avec sa forte pente et ses épingles provocatrices, la première section reliant la vallée à la station d'Isola 2000 s'est révélée la plus sportive du week-end. Les voitures semblaient s'inscrire naturellement dans les courbes successives, pas besoin de freiner ni de changer de rapports, juste de tenir fermement le cerceau... Et tandis que Bruver se faisait tordre par Delphine pour cause de relâchement du principe de précaution, tandis que Jean92 tentait de dompter son dragon vert avant décollage, j'ai traqué une bitza japonaise avec un moteur de 3.2l qui s'est senti obligé de m'attendre tellement je conduisais vite avec mon 2.0T matching !
Sans qu'aucune voiture ne se gare au delà du panneau "siete in Provincia di Cuneo" situé juste après le col, et qui marque la frontière avec l'Italie, notre groupe s'est réuni à la Lombarde. A califourchon sur la crête, nous avons repris notre souffle en explorant du regard le mystérieux versant ausonien. Là bas, dans le flanc de la terre, nous attendaient des lieux aux sonorités inquiétantes, comme Demonte ou le Colle dei Morti, et des routes annoncées comme improbables pour des automobilistes modernes...
Quelques kilomètres dans la descente vers Vinadio ont suffit à nous dépayser, et ça n'était pas qu'un sentiment. Les choix des ponts&chaussées transalpins lors de la construction du parcours et le cheminement qui en résulte, avec une succession hétérogène de virages et une étroitesse générale des voies, la qualité du revêtement peu entretenus, les marquages sommaires, la sécurité lapidaire et les changements de direction qui semblent toujours résulter d'une élimination des mauvaises indications routières, tout cela transforme d'emblée votre façon de conduire en une nouvelle aventure. Ajoutez-y une végétation plus verte et plus condensée que dans le sud-est de la France, des petits villages de montagnes robustes et ratatinés par les froids d'hiver, des cloches et de la bouse en quantité jamais vue par un classimou, vous obtiendrez ce dosage subtil qui font les ivresses voyageuses.
Au fond de la Valle Stura di Demonte, juste avant de bifurquer vers les cols sauvages tant décrits dans la présentation de cette sortie, nous nous somme arrêtés faire le plein d'essence dans une station service d'un autre temps, celui où l'on servait encore les clients à la pompe. A peine le temps de nettoyer le pare-brise, j'ai repris le volant et entamé l'ascension vers l'inconnu avec la gourmandise d'un enfant avide de friandises. Le temps était toujours idyllique, les sous-bois respiraient par intervalles réguliers, intercalés de hameaux et de champs déserts. Déserts ? Pour cause ! A peine ais-je rattrapé bern1575 et Joëlle, que nous avons été stoppés net par un mur de bovins qui empruntaient la même route que nous en sens inverse. Et ce n'était que les éclaireurs ! Nous étions pris dans une transhumance dont je n'avais pas été informé par les autorités italiennes auxquelles j'avais déclaré notre passage.
Un flot incessant de plusieurs centaines de bêtes au teint crémeux s'est alors déversé sur nous ! Les bergers qui accompagnaient le troupeau se sont placés devant l'auto en faisant de grands moulinets avec leurs bâtons afin d'écarter cette débauche musculaire et beuglante. L'attente, et le stress de voir déborder ces quintaux de gentillesse béotienne, a duré de longues minutes. L'une de ces vaches est d'ailleurs venu frotter son gros bidon sur ma portière conducteur, en laissant une marque qu'un débosseleur devrait facilement savoir me rectifier. Mais d'autres ont eu moins de chance. Rodolfo et JJP911 ont été dévasté par la tentative de saillie d'une Margherita affolée avec leur belle 2.2T Orange Signal. Résultats : Meuh-meuh = 1, Porsche = 0. De la tôle enfoncée et les deux phares avants disloqués, soumis au pouvoir de maintien du scotch jusqu'à la fin de la sortie.
Bern et moi avons également eu la chance de nous trouver relativement en amont du flux bestial. Pour tous les autres viradistes qui traînaient des pieds depuis La Lombarde, le chemin jusqu'au départ des traces fécales fut long, glissant, insinuant, infestant, collant et persistant. Les séances de nettoyage post-virada ont montré toute l'envergure des dégâts laissés par ce chemin pavé de bonnes intentions...
Cet enfer pastoral, diaboliquement sympathique au demeurant, n'a duré que le temps imparti pour sortir du purgatoire et atteindre le paradis. Le couloir enfin dégagé de toute concurrence, les arbres disparus, la roche apparue, nous avons laissé libre cours à notre appétit de cavalcades maquisardes. Les lacets étaient brefs, quelques fois sans visibilité mais on avait le plus souvent une vue déployée sur leur enchaînement. Le bitume était épais et défoncé, il y n'avait aucun garde-corps et de rares dégagements offraient un abri en cas de croisement. Cette escalade, et le franchissement des trois cols successifs à venir, furent un des plus grands plaisir de Touring de ma vie.
Mais voilà déjà le Colle Valcavera, première halte de notre élévation mécanique dans cet Élysée pour rouleurs impénitents. Les cimes alentours étaient déchirées comme sous les coups de griffes d'un titan, les versants abrupts semblaient des cascades de roches saisies dans l'instant, entraînant le regard à la bascule, et l'azur limpide révélait encore plus le caractère minéral et magnétique de ces escarpements. Je suis repassé devant Bernard et sa 2.4T red polo et j'ai ouvert à nouveau en solo. Il ne fallait pas jouer les Juliettes sur ces balcons décrépis ! Ça tremblait de partout, le gouffre n'était jamais loin, mieux valait profiter du paysage à une allure contemplative que d'essayer de dompter ce serpent des montagnes.
Un peu plus loin, au Colle della Fauniera (dei Morti), nous avons croisé la légende statufiée de Marco Pantani, qui fut un des meilleurs grimpeurs de l'histoire du cyclisme sur route, mort - ou peut-être assassiné - en 2004 d'une overdose de cocaïne dans une petite chambre d'hôtel à Remini. Après 2kms à pas de mulets, nous avons rejoint le Colle d'Esischie, dernier belvédère avant notre déjeuner à Marmora.
Beaucoup moins impressionnante que la partie précédente, la descente vers le Val Maira fut sans doute la plus éprouvante pour les autos. Des dénivelés jusqu'à 19%, des épingles serrées, baignées de chlorophylle et nappées de gravillons, de nombreuses petites sections sans bitume laissant apparaître une couche tassée de terre blonde et fine, des fossés ou des ruisseaux qui traversent la voie et qui surgissent sournoisement, une surface gondolée d'un bout à l'autre, rien que de bonnes raisons de se faire surprendre, de freiner un poil trop tard ou de gratter les fonds de culotte. À ce petit jeu, Vaillante et son poids plume, avec sa petite boite courte et sa monte un peu haute, a fait merveille. Je faisais toujours route en tête pour organiser le parking avant l'arrivée des viradistes à la locanda, quand soudain, dans l'angle mort d'une épingle, je suis tombé nez à nez avec une mule et son petit qui têtait au beau milieu de la chaussée. Après beaucoup de palabres, des négociations difficiles et des supplications désespérées afin qu'il s'écartent, j'ai humblement escaladé le bas-côté, comme le reste du convoi d'ailleurs !
Marmora, enfin ! Les proprios de la Locanda Ceaglio m'avait confirmé qu'aucune demande de stationnement n'était à faire. Il y avait bien quelques places parsemées au plus près de l'entrée, mais là encore, on sentait qu'il fallait s'adapter aux circonstances. Et ça tombait bien, elles furent irrésistibles ! L'accès à la locanda s'est fait par une petite ruelle privée et ombrée qui s'ouvrait d'un seul coup sur une place richement décorée d'ustensiles d'époque. Tout semblait à sa place, la distribution des espaces à vivre était parfaite, les rangs de chaises longues, la fontaine, les grands draps blancs étendus aux fenêtres, le petit musée, le buffet d'apéro open-bar sous la tente, et toujours ce soleil incroyablement généreux, nous ont immédiatement fait prendre conscience que nous allions avoir du mal à repartir.
Nous avons pris possession de ce mini-village dans le village avec délectation et ce fut un long apéro, une sorte de lounging authentique, sans manières mais avec la manière ! Et en français dans la conversation en plus ! Pour moi, tout fut impeccable lors de cette étape. La ronde des mets semblait ne jamais s'arrêter : deux entrées, deux anti-pasti, deux plats, les desserts, le café, le vin... La cuisine était franche et plutôt familiale mais le style rustique était ce qui convenait le mieux aux lieux. Au moment de régler l'addition pour les 54 convives, nous eûmes l'agréable surprise de nous voir proposer de payer plus tard, par virement ou chèque, en entendant "ne vous inquiétez pas, nous procédons souvent ainsi !". Vous en connaissez beaucoup des restaurateurs comme ça ?
Le départ pour l'après-midi s'est déroulé en temps prévu. Après un plongeon au plus profond du val vers Ponte Marmora, nous avons rapidement bifurqué vers notre prochaine attraction, le Vallone di Elva. Quand nous l'avons quitté, la patronne de la locanda apprenant que nous allions emprunter cette itinéraire, nous avait glissé : "Ah, vous passez par Elva... Faité attentioné, c'est dannegereux...". De fait, c'était une saillie creusée dans la falaise, avec toujours une seule voie praticable et des renforts en béton régulièrement espacés pour soutenir la voûte au dessus de nos têtes. J'ai personnellement tenu à saluer la madone protectrice des voyageurs qui s'aventurent sur ce chemin en m'arrêtant aux pieds de son autel incrusté dans la paroi le long du parcours.
À l'issue de cette section pittoresque, la route s'est faite plus commode en retrouvant la végétation. Puis, juste après un carrefour, nous avons débouché sur les pentes suaves qui mènent au Colle di Sampeyre. Les arbres ont alors complètement disparu, offrant l'horizon à notre contemplation. L'inclinaison était douce, les virages enroulaient délicatement, l'asphalte était en bon état. Aux alentours, aucun rocher ni buisson ne venait perturber l'unité de ce paysage recouvert uniquement d'herbe dense. Je compris mieux pourquoi l'endroit est très prisé en été pour le pique-nique et la sieste. Pour l'heure, il n'y avait quasiment personne. Nous avons rebondi au gré des ondulations délicieuses du terrain, c'était comme si nous glissions, mais dans le sens de la montée ! Malheureusement, à mi-hauteur avant le sommet, le moteur de Kaïs s'est mis à ratatouiller, l'obligeant à s'arrêter et permettant ainsi à Pitou d'inscrire sont troisième but en ligue des champions ! Nous avons avalé le col de Sampeyre pour rejoindre la localité du même nom dans le fond du Val Varaita. La face nord changeait radicalement. Tandis que la montée était assez rectiligne avec un décor dénudé, la descente s'est faite par paliers dans un univers touffu, abrité par les arbres et ouvert sur des champs soudains.
Ce fut une plongée absolument bucolique dans l'Italie verdoyante et pastorale des montagnes. Puis, de Sampeyre dans la plaine, nous avons emprunté la strada provinciale qui mène au col Agnel, frontalier avec la France. Cette partie roulante m'a fait du bien. En compagnie de Gil356 et de son Targa noir ressuscité au gros scotch noir, nous avons laissé se déployer les chevaux qui étaient restés hors des plages d'utilisation jusqu'à maintenant. Ca respirait bien, ça chantait juste ! Casteldelfino s'est écarté devant notre fougue, Il lago Di Castillo s'est ouvert en reconnaissant notre foi, Pontechianale a vainement tenté de résister mais Chianale a abdiqué. La dernière côte Piémontaise s'est alors offerte à nos assauts triomphants et nous nous sommes emparés du Colle del Agnelo.
De retour sur les terres françaises, nous avons basculé vers le Queyras. Dans le creux de la montagne de Beauregard, avant d'atteindre Molines, le dévers s'est stabilisé à l'horizontal en fournissant une meilleure visibilité et en autorisant une course plus vive. Au plus bas du parc régional, la forteresse de Château-Queyras nous a ensuite livré aux griffes du Guil et de ses gorges rougeoyantes. Au loin, la présence d'un bus et de son cortège de plusieurs 911 Classic en attente dans son sillage me fit opter pour un dépassement un peu osé, je l'avoue. En arrivant sur le groupe, j'ai eu une première visibilité me permettant de me hisser jusque derrière l'autocar, en doublant toute la file des voitures dans un premier temps. Puis, juste avant un virage à 90° à droite, j'ai pu vérifier dans l'angle de vue momentanément disponible que la voie était libre jusqu'en amont, et j'ai sauté la diligence avant que le virage ne se rabatte. Ce qui m'a valut une remontrance de la part de Patrick123, auquel je réitère mes aveux et mon assurance (!) : C'était une erreur de comportement, pas une erreur technique...
Au delà de Guillestre qui, ainsi que vous l'avez compris, tire son nom du cours d'eau qui le traverse, nous nous sommes catapultés vers le dernier col de cette Virada 2014. Cette ascension finale fut entreprise comme telle, avec le souci de ne pas en perdre une miette ! Les Flat se sont rués sur leur victime, un simple, large et confortable ruban, sans doute le plus camus des sommets gravis pour cette édition, mais aussi le plus roulant, avec la Bonette. Egrenant les bourgades de Vars St Marcellin, Vars Ste Marie, Vars Les Claux - nous avons abusé de ces ultimes escarpements et n'avons commencé à relâcher la pédale qu'à la vue de la terrasse du troquet situé au col de Vars. A l'ombre des cimes environnantes, et devant une collation plus ou moins dorée et gazeuse, avec vraiment très peu d'alcool, même qu'on dirait de l'eau, nous avons laissé notre esprit vagabonder dans le souvenir immédiat de cette journée. La Virada n'était cependant pas encore terminée, et il fallut affronter son irrémédiable achèvement jusque que dans les derniers mètres avant l'hôtel du Château des Magnans, tout en bas dans la vallée de l'Ubaye.
Sur le parking, nous avons chargé la belle orange de Rudy, esquintée par les vaches italiennes, pour son retour sur plateau. Par lot, tous les équipages sont arrivés rincés par le soleil, la poussière et la merde bovine, mais les sourires d'une bonne fatigue se lisaient sur tous les visages. J'ai retrouvé, avec le plaisir indicible d'un chasseur bienveillant pour sa famille, ma squaw qui m'attendait après une journée de farniente à Barcelonnette. Mais déjà, l'appel de l'open bar se fit entendre, et je ne voulu pas rater la disparition de l'astre que nous avions vu naître au matin. Cette journée fut la nôtre. Les circonstances nous ont été plus que favorables, les esprits ont consacré notre fortune de bandits de grands chemins et il s'agissait de célébrer cette bénédiction avec honneur ! L'apéro et le repas se sont enchaînés dans la même ambiance de décontraction que l'ensemble de ce week-end. Il y avait dans cette édition de la Virada une équipe tout à fait harmonieuse, à l'amitié simple et sincère, un parterre de classimous sans frime, une volée de passionnés compréhensifs des uns et des autres avec une forte inclination pour la cordialité.
Au cours de ce "dîner de gala" mieux réussi que la veille, foie gras et boeuf Simmenthal au menu, chaque binôme s'est vu remettre l'habituel trophée, toujours très généreusement sponsorisé par poissonrouge. Y figuraient les derniers mots de mon compte-rendu de la Virada 2013, inscrit comme une profession de foi dans l'asphalte : "Le classimou est un genre à part entière. Il ne cherche pas son chemin, il le trouve. Il n'est pas en retard, il respecte la moyenne imposée. Il ne dort pas, il fiabilise. Il ne commet pas d'erreur, il se forme. Il ne craint personne au bar. Sauf l'eau de façon générale. S'il s'habille mal, c'est que le plus important est ailleurs. S'il pue l'essence, c'est qu'il est content. S'il casse, c'est pour dire qu'il a su réparer. S'il roule en ancienne c'est qu'il n'aime pas faire la gueule, et s'il fait la gueule, c'est qu'il ne roule pas."
De nombreux viradistes avaient prévu de s'en retourner tôt le dimanche matin et peu furent présents pour les traditionnels derniers verres sur le parking. Ceci n'empêcha pas les plus tenaces d'entre nous de boire la coupe jusqu'à la lie, et même de continuer dans les espaces plus intimes de nos pénates. Et c'est ainsi que Sophie et moi avons émergé de notre chambre en fin de matinée seulement. Tous le monde était parti, à part Rol84 et Oggy ! Je regrette beaucoup de n'avoir pas pu saluer et remercier chacun d'entre vous comme il se doit, et je compte sur votre solidarité de sybarites pour excuser ce manquement... Plus encore, je loue l'attention particulière que m'ont accordé les yoyos et sebflat2 en déposant dans ma voiture restée ouverte un assortiment de produits de bon goût, montagnards et faits maison, ainsi que kal24E pour la sélection de bière de Gelbique qu'il a réussi à ne pas consommer avant de me les offrir !
La squaw et moi avons une nouvelle fois franchi la Bonette pour rejoindre le sud côtier. Au contact de ces fauves des montagnes que sont les Porsche anciennes, j'avais oublié à quel point les véhicules d'aujourd'hui, et encore plus les 4x4 et autres SUV surpuissants ne sont pas adaptés à ce terrain de jeu. L'image du Touareg a rapidement disparu dans le rétroviseur et malgré les arrêts effectués pour l'attendre, je n'ai pas réussi à aller plus lentement ! Un peu plus de 2 heures plus tard, nous avons rejoint Mougins et je me suis écroulé sans tarder pour une sieste longue et profonde dans le canapé...
Etait-ce un enchantement ? Qu'avions nous fait de si exceptionnel pour que cette sieste dure presque une semaine ? Il m'a fallu longtemps pour revenir de ces territoires insoumis mais qui se sont laissé docilement appréhender. Je n'ose imaginer les conditions de roulage en plein hiver, ou simplement sous la pluie, le brouillard ou le vent. J'ai eu, longtemps avant le départ de notre expédition, de sérieux doutes sur la réussite de cette sortie et je ne remercierais jamais assez le sort de nous avoir réservé le meilleur, cette année encore.
La pluie n'en finit pas de battre la baie vitrée. Le ciel bas et noir n'est plus le protecteur qui nous a accompagné pendant cette Virada. Voilà 7 jours que nous sommes rentrés et j'arrive à peine à vaquer à autre chose qu'au souvenir de cette équipée. Vous êtes tous là, il fait encore nuit, les moteurs chauffent. Avant de pénétrer dans mon cockpit, j'observe la file indienne de nos Classic qui se détachent dans les phares. J'entends les portières qui claquent. Dans une demi-heure, nous serons au firmament, dans la volupté du jour nouveau. L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt...
Mougins, le 5 octobre 2014