Alors donc, voilà, ça y est, bon, enfin, bref, merde, c’est fini.
Nous avons tournoyé, braqué, envoyé, jamais freiné, nous avons gravi, slicé, dérapé, nous avons dévalé, retenu puis lâché, nous avons joui, nom de dieu ! Celui qui n’a jamais fait la Virada peut tout connaître de la vie, il lui manquera toujours ce bonheur essentiel : celui des grands espaces déserts – les plus escarpés, les plus sinueux - et de la voie qu’on y trace comme un trait sur une feuille blanche, comme une affirmation de soi, comme une négation du « je », lorsque l’instinct de liberté nous transporte dans l’inconnu et que plus rien d’autre n’a d’importance que faire le chemin. La destination ? On s’en branle. Ce qui compte, c’est la route. Entre le moment où on pose pour la première fois de la journée ses mains sur le volant et celui où on se résigne à le lâcher, il s’écoule une durée indéfinie, vécue comme éternelle, une parenthèse enchantée dans notre vie habituelle, une autre réalité dans laquelle rien de négatif ne vient perturber cet ordre libertaire.
Ceci est la quatrième Virada. En voici l’histoire.
Les meilleures expériences méritent d’être répétées. Cette édition concentrait donc les plus beaux parcours des années précédentes avec l’objectif de rallier l’intégrale des cols des Alpes du Sud. 14 sommets, dont 13 au-dessus de 2000m, des journées à plus de 8 heures de conduite effective, la plus haute route d’Europe, les paysages alpins les plus édifiants de France et d’Italie, une ribambelle de Porsche Classic riches en couleurs et dignes de leurs pilotes !
Pour notre petite équipe de gars de la côte, le parcours de concentration de cette 4ème Virada ressemblait en tout point à ceux des fois d’avant : rendez-vous initial à mon domicile pour une liaison de quelques heures et premier passage par le col de la Bonette avec Phil06 et Topman, embarqués à bord de la 2.4E Gemini de Phil, sans oublier notre traditionnel arrêt à la boulangerie de la Bolinette, toujours aussi regrettablement fermée…
L’arrivée à l’hôtel fut le début d’une longue série d’anicroches avec le service. Il fut ainsi réclamé à plusieurs d’entre nous le paiement immédiat de cette première nuit, comme si on allait s’enfuir au petit matin sans revenir pour les deux autres nuits ! De plus, nous avons rapidement appris que le chauffage de tout l’établissement était réglé en position « été » et qu’il n’y avait pas de couverture supplémentaire disponible… Ça partait bien ! Mais qu’importe, ce n’est pas ce qui allait nous gâcher le plaisir de nos retrouvailles, et la désormais traditionnelle nuit de la before fut joyeuse et bruyante, colorée et arrosée.
En ouvrant les volets au petit matin, nous découvrîmes le parterre de nos autos, bientôt au complet sur le parking de l’hôtel. Même en y étant habitué, il faut reconnaître que c’est à chaque fois un ravissement de voir autant de classics réunies, avec cette variété de couleur et cette identification de forme si caractéristiques. Sous les premiers rayons de soleil, le givre de la nuit se transformait en rosée, et tandis que certains s’appliquaient à ne pas sous-estimer leur temps de chauffe, d’autres débarquaient de la remorque leur monture du week-end. Les Targa se hâtèrent d’ôter le toit et chacun s’employa à préparer son véhicule pour cette première journée au plus près de l’azur. Puis, après distribution des plaques, des road-book - mis en page comme une bande-dessinée - et des goodies - dont un chapeau en paille tressé au Mexique, les viradistes 2015 se mirent en route vers les pentes incessantes et les pittoresques pics des Alpes Occitanes !
Ayant repéré la veille que la montée du col d’Allos ne serait pas possible en début de matinée en raison de travaux effectués suite à un éboulement, nous avons opté pour commencer là où nous étions sensé finir, c’est à dire par le Col de la Cayolle. Les horaires de passages sur le col d’Allos nous permettaient en effet d’y accéder en fin d’après-midi. Nous nous sommes donc engouffrés dans les gorges du Bachelard avant d’atteindre notre premier col sous les hospices d’une météo bienveillante qui ne nous quittera pas de la journée.
En redescendant vers Saint Martin d’Entraunes, nous avons rattrapé notre itinéraire normal et nous avons rejoint le restaurant « la Vallée Blanche » à Valberg où nous avions déjà déjeuné pendant la 2ème Virada Classica. Changement de propriétaire mais même qualité de service, une adresse bien placée, sympa et déco, vers laquelle certains se sont rendus gentiment accompagnés par nos amis de la gendarmerie.
À l’issue de ce bon repas pendant lequel la canaille a rivalisé avec la ripaille, nous avons entamé notre digestion en dévalant les gorges rouges du Cians. Après avoir bifurqué à gauche en direction de Pierlas, nous avons ensuite rejoint la célèbre échelle d’épingle qui permet de gravir les marches de la route d’Ilonse. C’est sur ce chemin de maquis, le Roupert Supérieur, que nous avons effectué notre halte coutumière, face à la crête de Chabanal, qui invite volontiers au jeu de l’écho de sa propre voix.
En chutant aux pieds d’Ilonse, nous avons pénétré dans la vallée de la Tinée pour une courte section rapide, avant de braquer vers le col de la Couillole sur la spéciale du Monte Carlo où Vic Elford remporta l’édition de 1968. Puis, en repassant par le col de Valberg et Péone, nous avons croisé notre station-service favorite à Guillaumes et nous sommes revenus à Saint Martin d’Entraunes pour prendre la direction du col de Champs et de celui d’Allos que nous n’avions pas pu faire le matin.
Un groupe d’équipage a malheureusement suivi le road-book d’origine et a repris la route du col de la Cayolle. Parmi ceux-ci, Rickman est tombé en carafe en chemin et je n’ai eu connaissance de ses déboires qu’une fois rentré à l’hôtel. Je remercie donc solennellement ici les participants qui ont été solidaire et sont restés avec Eric jusqu’au coucher du jour, lequel je prie de bien vouloir m’excuser pour ne pas avoir fait demi-tour pour assumer mon rôle d’organisateur. À ma décharge, je te savais bien entouré et ma présence n’aurait pas permis que la dépanneuse ne tarda davantage…
Cet incident a été à l’origine de la suite de nos déconvenues avec l’hôtel. Ayant vu avec la direction pour l’organisation de l’apéro, j’avais bien spécifié qu’un groupe d’entre nous serait en retard pour le dîner et qu’il fallait tenir le buffet ouvert au-delà des 9h imposées, ou pour le moins conserver le nombre de plats à disposition. Était-ce l’épuisement de fin de saison, le manque de communication dans le personnel ou la profonde envie de mal faire qui ont engendré la suite ? Il a fallu se disputer avec tout le monde pour obtenir les fameux plats et le service a été déplorable à table. Cette ambiance a continué au digestif avec les comportement atterrants du chef-cuisiner, de sa copine et du barman, et s’est achevée avec l’annulation par le directeur d’une distribution gratuite de champagne et de la mise à disposition d’un buffet de boissons, ainsi que de la salle attenante qui aurait pu nous servir de discothèque, si l’envie nous en était venue… Tout ceci ne nous a cependant pas empêché de commander au bar et de fêter comme il se devait cette radieuse première journée, en prolongeant le plaisir sur une table de ping-pong autour de ma caisse à outils spécialement fourbie pour l’occasion !
Le lendemain, la table de ping-pong trônait toujours sur le parking, bien garée en amont de nos autos. Aussi frais que possible, chacun s’activait à nettoyer ses carreaux des résidus du trouble nocturne. Après avoir refait les niveaux à la station de Barcelonnette, nous nous sommes alors attaqués à l’assaut des Alpes Italiennes en accédant d’abord au col de Vars puis en franchissant la frontière au magnifique col Agnel.
Après une savoureuse descente vers le valvaraita, nous avons pris en sens inverse l’itinéraire italien de l’année précédente en traversant d’abord Pontechianale et Casteldelfino. Laissant filer derrière nous le ruban délicieux des pentes douces du colle di Sampeyre, nous avons ensuite pris la direction du Vallone di Elva et de ses abîmes remarquables mais nous avons été rapidement stoppé par des villageois qui nous ont indiqué que la voie n’était pas praticable en raison des transhumances saisonnières en cours. L’esprit chargé des souvenirs de notre rencontre avec les bovidés de la 3ème Virada Classica, nous avons immédiatement fait demi-tour et emprunté l’itinéraire bis toujours prévu à cette endroit pour cause d’éboulement récurrent.
Au bas de la Valle maira, nous avons rejoint le tracé initial à Ponte Marmora et nous nous sommes hissé jusqu’au village de Marmora pour jouir de cette fameuse étape de la Locanda Caglio. Cette locanda, c’est une peu notre Remise du MCH à nous ! Nous y sommes toujours accueillis comme des princes, les boissons et les mets sont à foison, le service est impeccable et le lieu joue parfaitement la carte de l’authenticité. C’est chaque année avec gourmandise que nous attendons de profiter de ces chaises longues au soleil, avec ses grands draps blancs qui pendent sur les façades de pierres rustiques.
C’est au départ de l’après-midi que le soleil s’est mis à nous manquer. Contrairement à l’année dernière où nous avions pu contempler les paysages sauvages des cols italiens de la région par grand beau temps, il planait sur le massif une brume épaisse qui donnait à l’ensemble une ambiance « phantasmographique », selon l’expression consacrée de Topman ! Après avoir croisé Ernestine l’ânesse au sortir de Marmora et un peu décapé nos dessous de planchers sur des chemins de montagne ancestraux, nous avons enfilé le Colle d'Esischie, le Colle Fauniera et le Colle Valcavera sous ce ciel de plomb, avec l’étrange appréhension qu’ici et maintenant plus qu’ailleurs, l’inconnu pouvait surgir au détour du prochain virage. Ce que le panneau visible au colle d’Esischie ne devait pas contredire en affichant « Attenti al lupo »…
Bien que certains semblent s’être fourvoyé en empruntant un chemin gravillonné dangereusement pentu dans la redescente vers Vinadio et la civilisation, tout le convoi s’est finalement retrouvé au col de la Lombarde, à la frontière française au-dessus de Isola. Une collation plus tard, achetée au Snack Caffe Bibite, judicieusement placé au sommet, nous avons emboîté le pas à des raiders en longboard qui n’avaient visiblement pas froid aux yeux et nous sommes glissé à nouveau dans la vallée de la Tinée avant de gravir notre 14ème et dernier col, celui de la Bonette, la plus haute route d’Europe à l’heure du coucher de soleil !
Au soir, et malgré le peu d’enthousiasme de nos hôtes, la distribution des trophées prolongea efficacement notre plaisir d’être ensemble. Furent ainsi décernées – et que yoyo911 veuille bien excuser ma maladresse puisqu’il mérite autant que les autres récipiendaires d’être honoré – des médailles de « Viradiste d’Honneur » à ceux qui ont participé depuis le début à toutes les éditions de la Classica (j’ai nommé yoyo74, Phil06, Patrick123 ET yoyo911) et des médailles de « Viradistes Remarquables » à tous ceux qui œuvrent pour la réussite de ces sorties et à d’autres pour leur fidélité malgré l’adversité mécanique rencontrée les années précédentes (Topman et poissonrouge, Rodolfo Dilavar, Gil356 et Pitou, auquel nous avons particulièrement pensé). S’y ajoutait pour chaque équipage un tirage sérigraphié et numéroté original, qui réinterprétait une page du « 8ème pilote » de Michel Vaillant – et qui fut le prétexte à un cadeau personnalisé à mon attention de la part de Gilles, ainsi qu’une grande affiche exposant de nombreux modèles de belles autos classics et rouges, mais pas Porsche…
Que chacun soit remercié pour l’excellence de son comportement sur la route et en camaraderie, et pour l’honneur que vous me faîtes en participant inlassablement et avec passion aux Virada Classica. Vous êtes le cœur de la réussite de ces sorties et vous portez haut les valeurs du Touring : solidarité, franchise, convivialité, bouffeur de bitume, avaleur de kilomètres, soudeur et godasses de plombs, vous êtes les derniers résistants aux véhicules serviciels qui peupleront bientôt nos routes !
Le soleil se lève encore dans un ciel limpide. JuanIV, phil06, Topman et moi prenons la route du retour sur la Riviera. Nous franchissons une fois de plus le col de la Bonette. Au bas de la côte, nous faisons halte à Saint Etienne de Tinée. Nous ne sommes pas pressés. Surtout pas. On resterait bien des heures attablé sous la tonelle. Tout est calme, tout est joie tranquille. C’est l’amitié de ceux qui savent la partager. Je vous dirais volontiers que je vous aime, mais ça ferait jaser.
Ciao Viva !